Pour la liberté de choisir et d’exercer un métier artistique
À l’heure où se prépare un « big-bang » de la formation professionnelle avec la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », les organismes de formation de la FNEIJMA s’inquiètent des conséquences de celle-ci pour les artistes interprètes et créateurs du secteur de la musique en particulier et du spectacle vivant en général.
Fédération d’écoles de musiques d’influence jazz et musiques actuelles, la FNEIJMA participe depuis 30 ans à la structuration de la filière des musiques actuelles et oeuvre pour qu’une formation de qualité soit délivrée aux artistes de la musique sur l’ensemble des territoires. À ce titre, ses membres sont au plus proche de leurs besoins et de leurs demandes (évolution professionnelle, acquisition de connaissances et de compétences, difficultés d’insertion professionnelle, etc.).
À l’exception des artistes permanents, les artistes interprètes ont un cadre d’emploi spécifique et très précaire (employeurs multiples, régime spécifique d’assurance chômage « l’intermittence ») c’est la raison pour laquelle ils bénéficient de certaines adaptations du code du travail, notamment pour la formation professionnelle. Les artistes peuvent également être « créateurs », ils ont alors un statut d’auteur dont le cadre d’emploi présente encore d’autres spécificités.
À l’heure où nous parlons de mobilité et d’agilité professionnelle, il est important de souligner que ce sont les artistes qui en ont été les précurseurs, leur métier leur imposant de s’adapter à de nombreuses situations de travail et aux différents employeurs qui les sollicitent (caractère discontinu de l’activité, alternance de périodes salariées et de périodes non rémunérées, multitudes de projets et d’employeurs, etc.).
Nous, organismes de formation professionnelle, travaillons au quotidien sur la base de référentiels métier pour concevoir nos actions de formation. Or, nous constatons aujourd’hui un recul de la reconnaissance des métiers artistiques par certains responsables politiques qu’ils considèrent comme « fantaisistes ». Plusieurs régions ont d’ores et déjà supprimé les dispositifs de financement pour la formation des artistes, tout en continuant à financer des actions de formation dans le secteur du spectacle vivant en direction des techniciens, des personnels administratifs ou des enseignants. Mais quels concerts ou spectacles sans artiste, ces techniciens formés, vont-ils pouvoir sonoriser et éclairer ?!
Les formations artistiques nous semblent peu à peu discréditées.
Elles sont d’abord perçues comme n’étant pas prioritaires pour l’emploi alors que la filière musicale française représente un chiffre d’affaire global de 8,6 milliards d’euros et près de 250 000 emplois [1].
Elles sont également perçues comme ne permettant pas l’accès à des métiers vecteurs d’une réelle insertion professionnelle. Or, les modèles statistiques servant à évaluer l’efficacité de ces formations au regard de l’emploi, sont toujours calqués sur le régime général et sur le CDI qui ne correspond aucunement au cadre d’emploi des artistes. Le diagnostic est donc faussé par les outils de mesure employés.
Pour s’adapter à un cadre professionnel en constante mutation et favoriser ainsi leur employabilité, les artistes professionnels de la musique doivent se former tout au long de leur carrière. Comment favoriser la durabilité de leur professionnalisation, sans laquelle nous ne pouvons parler de métier, si nous ne leur permettons pas de mettre à jour leurs compétences et leurs connaissances ?
Les artistes constituent le socle sur lequel est bâtie la filière économique et culturelle, porteuse d’enjeux sociétaux d’ouverture et d’égalité et qui ne saurait être définie par le seul prisme de la rentabilité et de l’économie.
Actuellement, un OPCA (organisme paritaire collecteur agréé) spécialisé est en charge du financement de la formation professionnelle des intermittents du spectacle et des auteurs. Celui-ci dispose d’une parfaite connaissance des métiers artistiques et des organismes de formation afférents. L’accès à la formation professionnelle par les artistes est donc possible et adapté à leurs besoins bien que les financements demeurent insuffisants.
Au regard de la réforme envisagée, nous craignons fortement que la situation particulière des artistes soit négligée, que les spécificités de leur cadre d’emploi ne soient plus comprises ni reconnues et qu’ils se retrouvent plus fragilisés encore par une difficulté d’accès à la formation professionnelle accrue. Nous craignons aussi la disparition de formations artistiques actuellement financées, nécessaires aux artistes et l’impact négatif important que cela pourrait avoir sur la création et la diversité artistique.
C’est pourquoi nous demandons que les Ministères de la Culture et du Travail mènent une étude pour évaluer les liens entre le développement économique et culturel des territoires au regard de la formation des artistes et qu’ils réunissent les professionnels de la filière (OPCA, CPNEF-SV, syndicats représentant les employeurs et les artistes, organismes de formation etc.) pour offrir aux artistes la liberté de choisir et d’exercer leur métier.
Le 1er juin 2018
Pour la FNEIJMA
Daniel Beaussier, président
[1] Création sous tension, deuxième panorama EY-France Créative, octobre 2015
http://francecreative.org/publication-du-2eme-panorama-ey-france-creative/